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Ceux qui visitent – comment dire ? Sa maison, son atelier, son jardin (le jardin est entré dans la maison – l’atelier serait le lieu de la mise en jeu de ceci : le jardin dans la maison - et donc les petites bêtes qui poursuivent leur vie dans les carnets, les carnets-maisons, les carnets-terriers, les carnets terreau…) Ceux qui visitent, disons les œuvres et le lieu des œuvres mais disons la mise en œuvre, ceux qui visitent sont dedans, mis en œuvres eux-mêmes, comme mis en scène. Eventuellement ce qui se joue autour d’eux les gagne et ils se mettent à leur tour à jouer. On dirait que pour Bernard, ce qu’il fait, peut être autant le produit de celui qui vient prendre place, part, dans ce qu’il fait, que s’il l’avait produit lui-même. Il l’a produit lui-même, mais ce dont il s’entoure est aussi la production de ceux qui viennent y faire un tour. Les visites. On est gagné par ce qui continue à se produire autour de nous, on le sent, c’est en cours. On prend place dans ce cours : on commente, on touche, on déplace, on fait aussi. Ce n’est plus tant le lieu de Bernard, c’est le lieu du faire – mais si, c’est chez lui ! – mais chez lui c’est là où d’autres viennent rendre visite, et qu’est-ce qu’ils font ? Ils font, ça arrive. Bernard fait avec eux... Avec ce qu’ils font...



Donc, pas des sculptures: des résidus Gestes et restes. Restes de gestes. Mais gestes de restes aussi: tout est bonc: il trouve au jardin, aux puces… Rarement des objets neufs (à mon avis jamais). La trouvaille, mieux que le travail dirait le mouvement de ce qu’il fait. Oui, c’est un mouvement. Un mouvement comme celui de la nature dans le jardin. Il n’y a pas de mauvaises herbes, il faut se laisser aller à ce qui se produit, Bernard suit, suit ça. Un moment, quand Bernard, au jardin entendait l’un de ses voisins tondre, et puis l’autre couper sa haie, il se laissait lui-même gagner, contaminer par ce geste, tondre, un peu là, pour la beauté du geste (pas pour la pelouse), et puis couper la haie, un peu ici, un peu là, et puis d’autres choses, balayer, souvent, dit-il… A cette époque il palissait des ronces, et il appliquait les gestes de la culture des tomates à des mauvaises herbes (celles dont on n’a pas encore vu qu’elles pouvaient être bonnes): pincer les gourmands… Les voisins aussi, donc, prennent part au processus, des visiteurs à leur insu, comme les limaces interviennent dans les carnets… Bernard récolte, range, dispose, collecte des boites qu’on ouvre sur des trésors de peu. On feuillette, on se promène… J’ai quand même envie de dire aussi que c’est un peintre. Une sorte de peintre. Et un teintre aussi (un teintre, c’est quelqu’un qui teint, là où le un peintre peint). La matière colorante, marquante, vive, touche, et ce qu’elle touche, elle le lie aussi. Avant qu’il n’aie eu lui l’intention de coller, d’assembler telle poignée de végétaux et… je ne sais pas, ça dépend ; la peinture a, comme tout ce qui pousse, poussé l’aventure là où Bernard, avec ses yeux écarquillés, a dit, quoi ? Oui ! Ok ! Bonne idé e! Pas de composition, c’est la peinture qui décide, la peinture comme les limaces, les ensemencements, les gestes… Et là où le peintre serait l’ordonnateur de sa toile, Bernard se dit, lui, dresseur de Papyrus (s’il vient chez vous il vous en apporte un, pour voir plus tard ce qu’il sera devenu… L’atelier n’a pas de limite, c’est l’atelier des gestes). Il les tresse aussi; il les incorpore à son mobilier (sauver les meubles): chaises (Assieds-toi, comme ça tu travailles, me dit-il), lit, table, lampes de bureau; papyrus dès lors porteurs d’ombres et ombreurs de portes. Alors le Papyrus dessine le faisceau de la lumière produite par la lampe de bureau dont il prolonge dorénavant, comme des poils dans l’oreille, le cône, mais si tu allumes la lampe, c’est pour porter des ombres, donc, oui, parfois. Ce n’est pas décidé. ça a lieu. Quoi d’autre ? Des dessins, pour moi ce sont des dessins, mais Bernard appelle ça un mural : Je vais faire un mural. Un mural, c’est un carnet ou un vieux bloc de feuilles de papier jaunies que Bernard a démantibulé, il aura peut-être inséré au préalable, je ne sais pas, fleurs de papyrus avec curcuma et Écoline, rien de pur – un même geste porté sur toutes les feuilles du carnet – le carnet est une sculpture - pur jeu – un battement d’ailes épinglées au mur… Une carte géographique aussi, que j’aime beaucoup, c’est la carte du monde, mais le support de la représentation du monde, le papier, a été altéré, mangé par les limaces, laissé au sol ? Retourné au sol. Ou bien recouvert de bleu, comme la peinture d’un déluge, un déluge de peinture bleue - il faudrait que je revoie. Ce que ce planisphère nous montre, c’est que le monde c’est la surface de la terre. De la géographie terre-à-terre, en somme. Le retour de la représentation de la terre à l’écorce terrestre… Une vanité."



À Bernard Hubot,

 Benoit Félix 


Avril 2019